Le soir du nouvel an
Le soir du nouvel an, j'ai vécu une crise d'angoisse calme.
J'avais décidé de laisser Ferrat choisir ce qu'on ferait pour le nouvel an. Lui-même avait, comme tous les ans, appliqué la technique du "la première invitation que je recois, c'est la bonne". On a donc passé la soirée avec 6 amis à lui, 6 informaticiens-masculins-fans-de-jeu-de-rôle-de-jeu-vidéo-et-qui-sortent-de-la-même-école-d'ingé (comme à peu près 95% des amis de Ferrat (nous les appellerons désormais des JDRIE, ca ira plus vite)). Ca tombait plutôt bien, parce que parmi eux il y avait Koala, qui est celui que j'apprécie le plus de tous ses amis.
J'ai malheureusement découvert une loi générale qui s'applique à tous les JDRIE : ils sont absolument adorables, je peux super bien m'entendre avec eux pris un à un, mais dès que tu en mets deux à portée de voix l'un de l'autre, ils partent dans leur trip informatico-vidéo-rôliste, agrémenté de charmants souvenirs d'école d'ingé et de name dropping d'autres JDRIE que tu connais pas, et tu sais que dans les 3 prochaines heures, tu ne capteras que dalle à la conversation (tu peux même pas identifier les mots qui composent leurs phrases, donc c'est mal parti).
A chaque fois, ca ne manque pas, au bout de trois heures, quand on se dit au revoir, le Ferrat tout contri se rend compte que "au fait, je suis désolé, tu as dû te faire chier" et essaye de se faire pardonner en faisant des câlins. Il est bien triste que la prise de conscience n'ait JAMAIS lieu pendant la discussion (pendant laquelle le Ferrat oublie très visiblement mon existence).
Je suis plutôt du genre patient, et si je regrette un peu cet état des choses, je ne le trouve pas très grave. J'aime bien écouter les gens parler, les JDRIE sont en général vraiment sympas, je comprends la moitié d'une blague ici ou là et j'apprends des choses... bref, sans être formidable, ce n'est pas dramatique.
Le soir du jour du l'an, sur les cinq heures du matin, ca faisait quand même à peu près neuf heures d'affilé que j'étais plongée dans ces discussions obscures, à pas sortir un mot. J'étais assise à côté de deux JDRIE qui discutaient taux d'intérêt sur des prêts immobiliers, tandis que mon Ferrat avait oublié mon existence à l'autre bout de la pièce sur un canapé et jouait à un shoot'em up avec Koala.
Je mourrais d'ennui.
Je me suis demandé alors ce que je pourrais être en train de faire de mieux, au lieu d'être ici à écouter des gens parler de choses qui ne m'intéressent pas. Et je n'ai rien trouvé. Vraiment strictement rien. Et de penser à ce gouffre de néant, j'ai eu une vraie crise d'angoisse, ce soir de nouvel an.
Je suppose que les jours de nouvel an se prêtent particulièrement bien à ce genre d'angoisse devant la nullité de tout ce que l'on peut entreprendre. Bien sûr, j'aurais pu tirer au sort n'importe lequel ou laquelle de mes amis, et le fait est que j'aurais très certainement ressenti moins d'ennui avec elle ou lui que dans ces conversations abconses. Mais j'avais conscience que ca n'aurait rien été qu'un cache-misère, un divertissement au sens pascalien du terme.
Vu de l'extérieur, ca peut avoir l'air complètement déprimant de n'éprouver de l'intérêt pour rien. D'autant que ce qui m'a vraiment angoissé, c'est que je n'étais pas juste en état d'apathie parce qu'il était cinq heures du mat et que mon cerveau était HS (même si ca a sans doute joué aussi). Non, c'était une impression familière. Ce n'était pas non plus déprimant, ou triste. Évidemment, ce n'était pas particulièrement joyeux, mais c'était une crise d'angoisse dans le calme.
Pourquoi paniquer en effet ? J'ai bien conscience depuis longtemps que rien n'a en soi plus d'importance qu'autre chose. Mais tout de même. La vie est courte, chaque heure est précieuse, et regarder ainsi des heures de ma vie passer sans rien en faire, j'ai l'impression que ce n'est pas ca ce qu'il faut faire.