Papa #4
Le lendemain de l'enterrement, il y a eu l'incinération.
Sur le coup, je vous aurais sans doute décrit les choses autrement que je ne vais le faire. Avec le temps, les petits détails ont perdu de leur importance. Ce qui est resté, c'est le sentiment. Et je n'arrive même pas à mettre un nom sur le sentiment.
Ce n'est pas de la tristesse. Je ne suis pas triste. On est triste quand on vient de se faire larguer, pas quand on perd son papa.
Ce n'est pas du désespoir. Ce n'est pas moi qui suis morte, c'est mon papa, et un papa, c'est fait pour mourir, c'est entendu, surtout quand ça meurt depuis des mois.
Ce n'est pas de l'angoisse, même si la mort n'est qu'un gros trou noir.
Ce n'est pas de la colère, parce que la colère, c'est de vouloir frapper. Et là, je ne voulais frapper personne, ni quelqu'un, ni moi-même, ni le cercueil. Je n'aurais pas même frappé Dieu si je l'avais eu en face de moi.
Non, c'était un autre sentiment.
Un "putain mais non, quoi !" ancré dans la poitrine.
C'est l'arrivée sur place, et piétiner en attendant. Attendre le corbillard, attendre que ce soit l'heure, il fallait tout le temps attendre, et le temps s'étirait en longueur, une minute durait tellement longtemps.
Mais enfin on sait bien que ce temps va finir par passer, et qu'à un moment on va en sortir de cette pièce, et qu'à un moment on sera de retour à la maison et que ce sera terminé.
Alors voilà, le cercueil a fini par descendre au son de l'hymne de son école, et c'était vraiment beau, parce que la chanson était gaie.
Et j'ai pleuré.
Et j'tétais mal à l'aise de pleurer. Il y avait tous ces gens autour de nous, et j'avais l'impression de pleurer pour eux, et pas pour mon père. C'était très énervant et très frustrant.
Ma mère est venue à moi, et elle m'a dit ces mots, que je n'oublierai jamais, même si je devais vivre mille ans.
Tu sais que papa était tellement content de toi. Tu étais sa fierté. Il voulait que tu continues, que tu n'arrêtes surtout pas. Il a toujours vu pour toi un avenir incroyable.
Il y a plein de petites bulles qui ont éclaté dans ma tête, avec les visions de ce que moi je voyais pour mon avenir.
J'avais la rage.