Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sous la peau de la vache
Sous la peau de la vache
Publicité
Derniers commentaires
Archives
16 février 2011

Trop vrai pour être beau

Samedi matin. Mon réveil n'a pas encore sonné 8h que BdL se blottit contre moi, me serre contre lui. Un coup de déprime à 7h du matin et je suis si fatiguée. Il me serre plus fort et me fait mal au cou.
Le réveil sonne.

Petit déjeuner, petits pains chauds sortis du four. BdL n'en mange qu'un, avale quelques gorgées de café.
"Est-ce que tu penses que je devrais retourner rester quelques temps à l'hôpital ?
- Ca serait peut-être une solution, oui. À l'hôpital de W., ca se passera peut-être mieux qu'à l'hôpital de E."
Le médicament qui lui a été donné est sans doute trop faible. Il ne lui fait aucun effet. À sa demande, je consulte la notice. Rien ne semble contrindiquer qu'il puisse en prendre un deuxième.

La matinée n'est pas très fructueuse. Nous allons en ville chercher des tickets de films. Mais BdL ne supporte de voir que des films très "tout public" qui sont aussi les plus demandés. Je ne peux pas même en profiter pour prendre quelques photos, parce que BdL ne le supporte pas. Il trouve ca "bizarre" et me soupconne systématiquement d'être un agent de renseignement.

11h. Il est temps de commencer à se mettre en route. La mère de BdL nous attend aujourd'hui pour manger.
"On ne va ps chez ma mère. Je vais à l'hôpital et je leur demande de me garder quelques jours."
Dans mon fort intérieur, c'est un soupir de soulagement. Enfin quelqu'un va s'occuper de lui. Je veux dire, quelqu'un d'autre que moi.
Rentré chez lui, il commence à rassembler ses affaires pendant que je m'attaque à la montagne de vaisselle.
"Alors ? Tu es prêt ?"
Il me répond avec des yeux pleins de larmes :
"Qu'est-ce que je vais faire de mon appart ?
- Il n'y a pas d'urgence pour l'appart. Tu restes juste quelques jours. Tu auras tout le temps nécessaire pour t'occuper de l'appart après.
- Oui ?
- Tu es prêt ?
- Oui, allons-y."

Il est bientôt midi. En route, BdL se met á pleurer.
"Ils nous suivent. Surtout ne t'arrête pas, ils vont me tuer !
- Je ne m'arrête pas."
Le trajet n'en finit pas.
"Ils veulent me tuer. Je suis un traître ! Mais je ne voulais pas aller à la police, je suis pas un mouchard, je ne voulais pas ! J'ai posé une question, une question d'odre interne. Je ne suis pas un mouchard !
- Ne t'inquiète pas : tu n'as trahis personne puisqu'il n'y a personne à trahir.
- Tu crois que c'est une bonne idée d'aller à l'hôpital ?"
Panique. Ah non, hein, pas si prêt du but !
"oui, je suis sûre que c'est une très bonne idée."

Soudain, devant moi, une vieille femme s'engage sur la route. Je pile, et j'ai tout juste le temps de m'étonner d'avoir un feu vert qu'un grand choc nous projette en avant. La voiture de derrière vient de nous rentrer dedans.
Putain de merde.
La femme est hystérique. "Vous ne pouvez pas piler comme ca en plein milieu de la route !" L'homme crie qu'il appelle la police, BdL hurle de ne surtout pas appeler la police. Ma vie ne peut pas être pour de vrai.
J'ai tellement peu envie de me défendre que l'hystérique se calme. Tout le monde se calme, on évalue les dégâts, très légers, on échange des numéros, et on reprend la route.

Les urgences psychiatriques de W. J'y suis pour la troisième fois ce mois-ci, à chaque fois pour obtenir des médicaments que le médecin ne veut pas lui prescrire.
Nous sonnons à l'interphone. Le médecin arrivera d'ici 20mn. Nous nous asseyons dans la salle d'attente.
"Je ne suis pas un traître."
Il ne veut pas que j'assiste à l'entretien avec le médecin. La plaquette des médicaments traîne encore dans mon sac. Je la lui donne.
"Tu montreras au docteur.
- Tu crois que je vais survivre à cette journée ? Et si je ne sortais jamais vivant de cet hôpital ?
- Mais oui, tu vas survivre. Il faut juste que tu acceptes de prendre le temps nécessaire."
Le temps passe. Le médecin n'arrive pas. BdL ne dit plus rien. Je commence à chantonner.
"Arrête ca tout de suite !"
J'arrête. Le temps passe. BdL se tourne vers moi les yeux pleins de larmes.
"Je ne veux pas mourir.
Tu ne vas pas mourir. Plus tard, quand tu seras un très très vieux grand-père."
Il se lève.
"Où vas-tu ?
- Je ne veux pas mourir.
- Tu ne vas pas mourir.
- Je ne les laisserai pas m'abattre comme une bête.
- Calme-toi, le docteur va arriver.
- Il veut me tuer.
- Qui ?
- Le médecin. Ils vont venir m'abattre comme une bête.
- Mais non.
- Tu ne sais pas. Moi, je sais. Je vais mourir.
- Mais non.
- Aujourd'hui. A midi, je vais mourir.
- Mais non.
- Non, bien sûr... Tu crois que je n'ai pas compris ? Vous voulez me tuer.
- BdL, reviens là.
- Non ! Ne m'approche pas !
- Le médecin va arriver.
- Je ne veux pas de médecin."
Il plonge la main dans sa poche et en retire sa plaquette de médicaments.
"Je vais m'en occuper moi-même."
Il s'enfuit en direction du hall d'entrée.
Les toilettes du couloir. Les médocs. Je me jette sur l'interrupteur et le laboure de coups de poing. Mais que fait ce putain de médecin ?
"Je vous en supplie, envoyez quelqu'un tout de suite !"

Je m'élance en direction du hall d'entrée. Les premières toilettes sont fermées. Je cours dans le couloir.
Un vieil homme est assis sur un banc.
"Vous cherchez les toilettes ? Celles-ci sont fermées.
- Vous avez vu un jeune homme passer ici ?
- Oui, il est allé en direction des autres toilettes, le couloir d'en face.
- Merci.
- Un très beau jeune homme, mademoiselle, si je peux me permettre.
- Merci."

J'entre dans les toilettes.
"BdL ?"
Personne ne répond. La plupart des portes sont fermées.
"BdL, est-ce que tu es ici ?
- C'est trop tard, L.
- Quoi ?
- C'est trop tard. J'ai pris tous les médicaments."
Sa voix est tellement calme.

Je me précipite vers le hall d'entrée. Je hurle sur le pauvre réceptionniste.
"oui, le médecin est aux urgences. Mais il n'y a personne. Il vous cherche. Vous avez laissé vos affaires là-bas.
- Monsieur BdL s'est enfermé dans les toilettes. Il a avalé des médicaments. Je vous en supplie, dites au médecin de venir vite."
La suite se passe dans la confusion la plus totale. Le médecin arrive, puis un infirmier, puis le réceptionniste pour prêter main forte.
On me pousse devant la porte. "Parlez-lui !" Aucune phrse ne me vient. Jamais je ne me suis sentie aussi muette.
"BdL ? Tu m'entends ? Ouvre la porte s'il te plaît."
Les uns cherchent à démonter la porte, pendant que le médecin téléphone de tous côtés.

Enfin un clic. BdL vient d'ouvrir la porte.
Il est assis sur le sol, le dos contre le mur, et regarde devant lui.
"Trop tard."
D'un air de défi : "J'ai pris toutes les pilules."
On s'affaire autour de lui : "Vous m'entendez, M. BdL ?"
Il tourne la tête vers moi.
"Déjà je n'entends plus rien."

Je n'ai pas eu très peur. Non.
La dose maximale indiquée sur la notice indiquait 6 comprimés par jour. Il en a pris tout au plus une dizaine. Il est entouré de médecins. Il n'est pas en danger.
C'est le geste qui m'effraie. J'ai à nouveau 7 ans, dans ma maison d'enfance dans les montagnes, et mes parents m'ont collée devant la télé avec ma cousine A. J'identifie aussitôt le film comme un de ceux que je n'ai pas le droit de regarder. Je sens que ce n'est pas normal et que mes parents viennent de me faire désobéir à leurs propres règles. Je me sens incroyablement mal. A. ne dit rien. On entend mon frère tousser très fort dans la salle de bain. J'entends les tapes que lui donne mon père sur le dos. Des coups incroyables. Longtemps, je vais avoir une peur bleue quand mon père me menacera de la fessée. Jamais je n'avais pensé qu'il pouvait frapper aussi fort. Le film me plaît, mais ne pas avoir le droit de le regarder me met mal à l'aise. Les tapes dans la salle de bain continuent. Des pompiers en uniforme rouge montent les marches en courant et s'élancent vers la salle de bain. Je ne sais pas pourquoi, je suis persuadée qu'il s'agit des mêmes personnes qui étaient venues monter l'armoire gigantesque de ma chambre. Les pompiers sont venus emmener mon frère à l'hôpital parce qu'il a avalé beaucoup de médicaments. Ca ne me dérange pas. Ce qui me gêne, c'est que l'on m'aie dit de regarder ce film que je n'avais pas le droit de voir.

On soutient BdL jusqu'à la salle des urgences, où nos affaires ont été déposées. Après l'avoir assomé d'un coup, l'effet des médicaments semble s'estomper un peu, et le médecin lui pose les questions d'usage, essaye de le calmer et téléphone à droite et à gauche pour lui trouver un lit vide. Pendant ce temps, je cherche fébrilement la boîte des médicaments pour pouvoir donner leur nom au médecin.
"Ces médocs de merde ne marchent pas. Je veux qu'on me donne le reste de la boîte. Pourquoi m'empêchez-vous de mourir ? Puisque je vous dit que j'en ai envie.
- Vous en avez peut-être envie maintenant. Mais cela n'a pas toujours été ainsi. Il y a eu des moments où vous avez été heureux, où vous êtes tombé amoureux. Et c'est notre conviction à nous que vous changerez d'avis dans le futur.
- Mais en tous cas, vous n'allez pas appeler la police ?
- Non, nous n'appelons pas la police ? Mais j'aimerais savoir pourquoi cela serait un problème, est-ce que vous voulez bien m'expliquer ?
- Non, pas de problème. Tout va bien. Je vais très bien. Je suis en parfaite santé. Je ne veux pas du tout mourir. Vous pouvez me laisser rentrer chez moi.
- Oh non, je ne pense pas que je vais vous laisser rentrer chez vous..."
Le nom et la quantité de pilules avalées rassurent le médecin. BdL refuse de parler de quoi que ce soit. Je me retrouve, comme un an auparavant, dans la situation pénible de devoir raconter au médecin ce que le malade refuse de lui dire, et ce devant le malade lui-même qui me supplie de ne rien dire. J'avais fait ca avec Rivière, j'ai dû le refaire avec BdL. Je peux vous dire ma conclusion : je DÉTESTE ca.

BdL est conduit dans la "maison 4". On a placé son lit dans le couloir. Étant donné sa situation, il est placé sous surveillance constante. Encore à l'heure où j'écris cela, il est assigné au couloir devant la "bulle" où se trouvent les surveillants et n'a pas de chambre attribuée.
Maintenant, l'effet des médicaments entre dans une troisième phase. BdL n'aura plus aucun souvenir de ce qui va se passer pendant tout ce long après-midi.
Arrivés aux urgences peu avant midi, il est déjà plus de 15h quand nous arrivons dans la maison 4. On nous propose "des biscuits et du café". Je meurs littéralement de faim. BdL lui, est plutôt paniqué à l'idée que mes médicaments puissent finalement vraiment le tuer. Il se prend le poul toutes les trente seconde. Son coeur lui fait mal. Il va sans doute mourir d'un infarctus. Puis il se calme et s'endors. Je m'éclipse à la caféteria où je me jette sur une boulette rabougrie réchauffé au micro-onde.
Je retourne au chevet du BdL. Pendant qu'il somnole, je sors un bouquin. Prend quelques notes. BdL sort de temps en temps de son apathie pour me prendre le livre ou le carnet des mains. Il n'est pas en état de pouvoir lire, mais fait semblant d'être satisfait. Puis il se replonge dans son demi-somme.
Le médecin arrive, toujours accroché à son téléphone. Il essaye de convaincre BdL de prendre un médicament qui atténuera les effets des pilules. BdL refuse, pensant qu'il s'agit d'une tentative pour l'empoisonner, puis se laisse convaincre, avale une petite pastille bleue non sans avoir argumenté avec l'infirmière sur les visées assassines du médecin, se rendort enfin presque tout à fait.
À 18h, enfin, je dis au revoir au BdL, lui promets de revenir le lendemain sans faute, et je laisse derrière moi l'hôpital psychiatrique de W. Lorsque les portes se referment derrière moi, je ressens un tel soulagement que j'en ai presque mauvaise conscience. Je suis libre, et je peux faire ce que je veux de ma soirée. Rentrer quand je veux, où je veux, aller voir n'importe quel film.

Le soir, il me reste encore une chose à faire.
Une chose que je suis terriblement impatiente et contente de pouvoir faire, mais tout de même, j'ai le coeur qui bat : je prends mon téléphone et j'appelle la Vipère. Je lui raconte ce qui s'est passé, il reste sans voix, interdit, puis demande des explications. Je lui demande d'appeler BdL le lendemain. Rien ne remonte le moral du BdL comme un coup de fil de la Vipère. Je le sais, et je le lui dis.
"Tout de même, ce pauvre BdL, il en a enduré des choses ces derniers temps."
C'est le moins qu'on puisse dire. Nous nous promettons de rester en contact, lui de prévenir le Tigre dont je n'ai pas le numéro, et d'appeler BdL sans faute le lendemain matin.

En raccrochant, je pense :
"IL en a enduré des choses ? Et moi non peut-être ?"

Publicité
Publicité
Commentaires
L
La phrase n'est pas de moi, c'est mot pour mot ce qu'a dit le médecin.
S
Bon déjà plein de pensées pour BdL, j'espère qu'il va être soigné correctement.<br /> <br /> Ensuite plein de courage pour toi, pour te reposer sans culpabiliser, pour continuer à soutenir BdL et à mener ta vie de front.<br /> <br /> Puis ta phrase "- Vous en avez peut-être envie maintenant. Mais cela n'a pas toujours été ainsi. Il y a eu des moments où vous avez été heureux, où vous êtes tombé amoureux. Et c'est notre conviction à nous que vous changerez d'avis dans le futur." ça continue à me faire cogiter...
Publicité